Donner, une nouvelle circulation des objets

Donner, une nouvelle circulation des objets

De nouveaux modes de consommation

Les grafiterias

« On n’est jamais aussi heureux que dans le bonheur qu’on donne. Donner, c’est recevoir. » Ces paroles de l’Abbé Pierre sont en résonnance avec un changement profond de nos modes de consommation. Car le partage et le don se développent aujourd’hui dans une économie collaborative toujours plus inventive. L’idée des grafiterias, ou foires gratuites, est née au cours de l’année 2010 à Buenos Aires, le jour où l’étudiant argentin Ariel Rodriguez Bosio crée une zone de gratuité pour se désencombrer d’objets devenus inutiles. Le principe crée l’enthousiasme et s’exporte avec un succès grandissant. C’est à présent plus de 25.000 événements qui sont organisés simultanément, rien que sur le territoire français. Sous le signe de la bonne humeur et du sourire, chaque participant peut venir prendre et/ou donner des objets, des aliments ou des idées. Chacun peut y produire des performances artistiques ou encore proposer des services et des compétences. Car dans une grafiteria tout est gratuit, sans réciprocité, et la manifestation, qu’elle dure quelques heures ou une journée entière, a un goût de fête et un pétillant de liberté. La réussite de l’événement demande, certes un peu de travail de communication, la prise de contact avec des associations et le respect de quelques règles élémentaires pour définir un étiquetage et délimiter les différents emplacements entre exposants, animations et convivialité d’un café. Il reste qu’organiser une grafiteria, dans un lieu public et en accord avec la Mairie est clairement à la portée de tous.

La Boutique sans argent

Dans la même mouvance, la Boutique sans argent, inspirée du concept de free shop, né aux États-Unis à la fin des années 60, est fondée par des bénévoles en 2013 au 2 rue Edouard Robert, dans le 12ème arrondissement de Paris. Du mardi au samedi, ce lieu alternatif permet de donner ou de venir prendre des objets en bon état et transportables à la main, sur la base de la gratuité et de l’économie circulaire. À la Boutique sans argent, il n‘y a ni transaction monétaire ni échange, ni troc. Les objets y trouvent une seconde vie et le simple acte de donner permet d’interroger et de sensibiliser les utilisateurs sur des modes de consommation plus responsables. Le projet fait écho au Magasin pour rien à Mulhouse ou à d’autres encore qui essaiment un peu partout en Europe. À la Boutique sans argent, on peut passer en coup de vent mais aussi suivre des ateliers et partager des savoir-faire en toute convivialité.

La slow fashion

La slow fashion, ou slow ware est une réponse directe à notre consommation vestimentaire toujours plus avide de modes éphémères. Car le prêt à porter à bon marché est bien l’une des industries les plus polluantes de la planète, avec un impact écologique dévastateur sur l’environnement, entre rejets toxiques, besoins en eau et en matières premières phénoménaux et transports effrénés, sans compter l’existence d’une main d’œuvre souvent exploitée. Loin de cette frénésie sans fin, la slow fashion apporte une prise de conscience éthique et responsable ainsi qu’un moyen d’action concret, avec la possibilité d’offrir à un vêtement ou à un bijou que l’on ne porte plus une deuxième vie. De nombreuses plateformes comme Vinted, Vide Dressing ou Le Bon Coin se sont développées sur la toile pour donner, échanger ou revendre à prix modiques les affaires que l’on a triées et sorties de l’armoire, pourvu qu’elles soient propres et en bon état. Sur les réseaux sociaux et de façon plus locale, le don a également le vent en poupe, en dehors de tous les sentiers battus des modes imposées.

Effets positifs

Privilégier le lien social

Le don est le contraire de l’échange commercial puisqu’il libère celui qui reçoit de toute obligation de retour. Il résonne de cet écho étrangement heureux et immédiat en transmettant le désir de donner à son tour, comme un rayonnement joyeux qui invite à participer. Entre celui qui donne et celui qui reçoit il y a la naissance d’un lien au travers des paroles échangées, d’un sourire ou du simple plaisir d’une transaction libre de toute contrainte. Le don est véritablement créateur de lien social et au-delà de la part toujours plus grande des nouvelles technologies qui nous posent derrière un écran, le succès grandissant d’événements tels que les grafiterias est révélateur de notre besoin individuel et collectif de développer de la relation humaine. Sur Facebook, quand un groupe social comme Montreuil récup recycle voit le jour en juin 2013, directement inspiré de BXI récup, il crée la rencontre entre des montreuillois qui se croisent habituellement sans se voir. Son succès n’a fait depuis que croitre, dans un foisonnement d’échanges d’objets de toute sorte, du lit en mezzanine au service à thé retrouvé au fond d’un placard en passant par la collection de GeoAdos parce que l’ado a bien grandit. L’objet que l’on désire récupérer n’est jamais très loin et l’on découvre parfois, à quelques rues de chez soi, l’existence d’un voisin ou d’une voisine drôlement sympathique.

Bon pour l’environnement

Donner une seconde vie à nos objets courants, les réparer, les recycler ou les transmettre en toute gratuité, s’inscrit dans la grande mouvance de la décroissance et du développement durable que l’on connait aujourd’hui. C’est une prise de conscience globale, la même qui nous fait lire mécaniquement les étiquettes des produits que l’on achète pour voir quelle est la provenance de cette tomate, de cette escalope de poulet ou de ce kilo de pommes de terre exposés en rayon. Sortir du réflexe d’acheter-jeter-acheter pour jeter à nouveau, c’est autant de transports en moins d’un bout à l’autre de la planète, autant d’énergie économisée à vouloir produire toujours plus indéfiniment. Donner, c’est inscrire une action forte en tant que consommateur, une action qui rejoint la parabole du colibris chère à Pierre Rabhi, « Je fais ma part ».

Une nouvelle façon de consommer

Cette nouvelle circulation des objets s’inscrit dans l’éclosion d’une consommation en plein développement, une consommation qui devient moyen d’expression. Et si les crises économiques et sociales récurrentes en accentuent le mouvement, il y a aussi le besoin d’apporter un sens à nos occupations et à nos actions, comme à notre façon de consommer. L’économie collaborative du don, de l’échange et du partage, bien plus qu’un phénomène de mode est un phénomène de société qui vient modifier en profondeur nos habitudes de consommation.

Effets pervers

Peu de contrôles

Il reste que sur les plateformes de don comme au sein des nombreux groupes sociaux qui permettent la transmission d’objets en tout genre, le seul contrôle demeure à la volonté des utilisateurs. Les règles y sont souvent les mêmes, privilégiant les dons, sans troc ni échange, ni publicité. Les dons d’animaux ou de médicaments y sont proscrits et il est demandé à chacun de rester respectueux et courtois. Il peut cependant arriver que certains comportements dérapent, qu’un acquéreur ne se présente pas ou pire, prenne des dons pour les revendre à son tour. Des objets peuvent être sales ou cassés et ne pas correspondre à l’attente du receveur. Malgré tout, ces désagréments restent rares, à la marge, et ne suffisent pas à endiguer la grande mouvance de cette nouvelle économie solidaire.

Une utilisation 100% digitale

À l’ère du digital, et en dehors de lieux fixes comme la Boutique sans argent, les plateformes de dons et autres groupes sociaux sont de grands consommateurs d’énergie numérique, un secteur responsable de près de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et ce chiffre devrait doubler d’ici 2025. Le succès de plateformes comme Le Bon Coin n’incite-t-il pas également à une déculpabilisation des comportements d’achats impulsifs et de surconsommation pour certains, alors même que ces personnes revendiquent des valeurs environnementales ? Rappelons que le bon sens est une valeur en soi, qu’elle se transmet par l’éducation et se développe en toute conscience.

Un risque pour l’économie de marché ?
Pour les réfractaires au changement et les partisans de la croissance, il y a cette équation insoluble, la décroissance entraînant la récession, puis le chômage et la misère. Or nous savons aujourd’hui que l’on ne peut croitre indéfiniment dans un monde fini. Peut-être est-il temps d’apprendre à générer une croissance maitrisée et durable. C’est ce que propose la croissance verte ou la green économie, une façon de produire et de consommer qui transforme notre relation aux objets, à la notion de propriété et à notre rapport à l’environnement.

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